Parmi les fournisseurs qui vendent des biens et services à des conditions ouvertes, l’assurance-crédit est considérée par certains comme étant indispensable, alors que d’autres n’en voient pas l’utilité. Comment expliquer une telle polarité des opinions?

 

L’assurance-crédit internationale est un phénomène relativement récent. D’abord introduite par les gouvernements des pays de l’OCDE pour promouvoir les exportations, cet outil a connu une croissance rapide et une consolidation dans les années 1990. Le marché actuel de l’assurance-crédit a été façonnée par trois assureurs principaux, tous situés en Europe, mais opérant de plus en plus à l’échelle mondiale.

 

Dans une situation d’oligopole, l’offre du marché est bien contrôlée. L’assurance-crédit internationale ne faisait pas exception jusqu’à récemment. Les défauts sont devenus évidents lors de la dernière crise économique. Lorsque la demande d’assurance-crédit était à son plus haut, de nombreuses limites ont été réduites ou annulées, avec les ravages que l’on sait sur le commerce international. Beaucoup de clients ont été forcés de repenser l’utilisation de l’assurance-crédit comme un outil de gestion des risques. Pour la première fois, les trois assureurs principaux ont connu des sorties nettes de clients.

 

Les clients déçus ont imploré des alternatives. Pour la plupart des fournisseurs de biens et services, tant les swaps sur défaillance de crédit que le marché de Londres étaient hors de portée. Afin de répondre à leurs préoccupations, plusieurs gouvernements européens ont commencé à envisager l’expansion des agences de crédit à l’exportation vers des segments traditionnellement contrôlés par les assureurs privés. Enfin, la récente poussée constatée sur les marchés de l’assurance-crédit et de l’assurance du risque politique par quelques nouveaux entrants a été une réponse logique à une demande insatisfaite.

 

Ces développements ont déjà ébranlé le marché, mais aboutiront ils à des solutions plus fiables à l’avenir?

 

Pourquoi prendre une assurance-crédit ?

 

A mesure que la concurrence s’accroît dans le commerce international, les fournisseurs des biens et services sont tenus de proposer à leurs clients le crédit commercial. Pour les détaillants et les consommateurs industriels, celui-ci est devenu une source importante de capital, dépassant parfois toutes les autres sources de financement réunies. Les fournisseurs doivent dès lors minimiser le risque de non-paiement, en particulier lorsque les banques sont engagées dans le financement de ce type de crédit.

 

La simplicité apparente de l’assurance-crédit en fait une solution de base dans la gestion des risques pour les fournisseurs et les financiers. Pour certains, il est même devenu le seul outil de gestion des risques, ce qui affecte directement la capacité de vendre à des conditions ouvertes. Une telle confiance, cependant, ne peut se justifier que si trois conditions sont remplies:

 

  • La couverture d’assurance ne peut être réduite ou annulée dans le délai convenu ;
  • L’assuré comprend clairement ses obligations envers l’assureur et est en mesure de les satisfaire ;
  • L’assuré comprend clairement les limites de l’assurance-crédit et peut gérer les implications connexes.

 

Revoyons ces conditions plus en détail.

 

Couverture révocable vs couverture garantie

 

Imaginez que l’on vous propose un contrat d’assurance maladie avec une disposition spécifiant qu’il peut être modifié ou annulé après chaque examen médical. Allez-vous l’accepter?

 

Les principes de l’assurance-crédit ne sont pas différents, cependant beaucoup de clients paient pour une « protection » qui peut être résiliée à tout instant. En offrant une telle couverture d’assurance, les assureurs prêtent un parapluie par temps ensoleillé et le réclame en retour lorsqu’il commence à pleuvoir. Les polices d’assurance fondées sur les chiffres d’affaires constituent une bonne illustration de ces pratiques : les clients doivent payer une prime annuelle minimale sans aucune garantie sur la couverture d’assurance !

 

Généralement, les assureurs assertent que la couverture révocable aide à contrôler la situation financière des débiteurs et permet d’éviter les pertes. Cet argument a peu de mérite car un secteur de surveillance des crédits le fait déjà très bien — c’est à dire, fournir des analyses financières, des recommandations de crédit et des renseignements — pour une fraction du coût de l’assurance-crédit. Les fournisseurs paient une prime pour être assuré contre les mauvaises dettes et non pas pour recevoir des recommandations sur les conditions de vente avec leurs clients.

 

Heureusement, des assureurs toujours plus nombreux commencent à offrir des limites qui ne peuvent pas être réduites ou annulées dans le délai convenu, habituellement jusqu’à un an. La couverture garantie nécessite une analyse plus approfondie et une coopération plus étroite entre l’assureur, le client et le débiteur, ce qui peut conduire à une évaluation plus longue de chaque risque et une prime plus élevée. En retour, le fournisseur reçoit une réelle protection contre les mauvaises dettes, ce qui est particulièrement important pour assurer les créances dans les contrats à long terme.

 

Pour le moment, la couverture garantie se limite principalement à l’assurance du risque particulier, mais les clients peuvent déjà synthétiser tout ou partie des polices d’assurance générales en regroupant plusieurs risques particuliers. À notre avis, les assureurs devraient désormais offrir à la clientèle des polices générales où certaines limites seraient irrévocables dans le délai convenu.

 

L’assurance des contrats et des ordres d’achat prend également de l’ampleur. Une fois le contrat ou l’ordre d’achat est délivré, l’assureur ne peut réduire ou annuler la couverture convenue, même si le débiteur devient insolvable avant la livraison des biens ou services. En un sens, cette solution est à mi-chemin entre la couverture d’assurance révocable et la couverture d’assurance garantie.

 

Conformité juridique: le diable est dans les détails

 

Même si le principe de l’assurance-crédit est simple, les contrats d’assurance-crédit ne le sont certainement pas. A moins que l’assuré ne remplisse ponctuellement ses obligations, l’assureur se réserve le droit de refuser l’indemnisation de la perte financière.

 

Quelles sont les obligations primordiales de l’assuré? En tout premier lieu, on trouve l’obligation de déclarer les comptes débiteurs en souffrance, habituellement dans les 30-60 jours après l’échéance. D’autres obligations incluent:

 

  • La facturation en temps opportun des biens et services fournis (généralement dans les 30 jours après la livraison) ;
  • La déclaration en temps opportun du chiffre d’affaires assuré ou de l’exposition maximale au risque ;
  • La déclaration en temps opportun des contrats et des ordres d’achat ;
  • Le paiement en temps opportun des primes d’assurance.

 

Parfois, l’assuré n’est pas autorisé à divulguer le nom de son assureur à ses débiteurs. En cas de recouvrement de créances, l’assuré est tenu de suivre les instructions de son assureur à tous les égards.

 

Certaines obligations de l’assuré sont moins explicites, ce qui laisse place à des interprétations arbitraires quant à leur conformité avec les termes du contrat. Par exemple, l’assuré est généralement tenu d’informer l’assureur s’il constate une détérioration de la discipline de paiement du débiteur, une dégradation de sa situation financière ou des développements qui pourraient affecter défavorablement les activités du débiteur. De telles obligations créent un conflit d’intérêts évident que l’assurance-crédit n’a pas encore réussi à concilier à ce jour.

 

Les autres questions de conformité sont les suivantes:

 

  • Maintenir la stricte conformité des personnes morales et des pays assurés aux conditions et restrictions de la police d’assurance ;
  • Maintenir la stricte conformité des termes contractuels avec les conditions et restrictions de la police d’assurance ;
  • Maintenir la stricte conformité des conditions de paiement et les limites de crédit avec les conditions et restrictions de la police d’assurance ;
  • Maintenir la stricte conformité du commencement et de la durée du risque actuel avec les conditions et restrictions de la police d’assurance (voir la différence entre les polices d’assurance « risk attaching » et « loss occurring »).

 

Toute omission de l’assuré peut lui coûter la couverture d’assurance. Pour éviter cette situation, les clients d’assurance-crédit devraient investir dans des systèmes de contrôle interne et dans la formation continue du personnel pour se conformer aux exigences contractuelles. Ils devraient accorder une attention particulière au cas où le contrat d’assurance intègre les conditions générales de l’assureur, qui peuvent être fortement biaisées en sa faveur.

 

Les limites de l’assurance-crédit

 

Même la couverture d’assurance-crédit garantie a ses limites qui doivent être considérées par l’assuré.

 

Pas d’assurance contre le risque de performance

 

De nombreux fournisseurs confondent le risque de non-paiement et le risque de performance de la contrepartie, ce dernier se rapportant à diverses formes de répudiation d’un contrat de vente par l’acheteur. En règle générale, les assureurs ne couvrent pas le risque de performance. L’obligation de paiement de l’acheteur au vendeur apparaît seulement une fois que :

 

  • Le fournisseur a pleinement exécuté ses obligations contractuelles envers l’acheteur, et
  • L’acheteur a pris livraison des biens ou des services auprès du fournisseur.

 

Les cas où l’acheteur refuse de prendre livraison des marchandises ou des services ou fait une réclamation (par exemple, concernant leur qualité) ne sont également pas considérés comme des événements assurés. Il y a une distinction entre la créance assurée et la perte commerciale. Dans ce dernier cas, la perte (avec une éventuelle indemnisation) devrait être établie par un tribunal ou par voie d’arbitrage, avec tous les frais juridiques payés par le fournisseur.

 

Si le fournisseur a besoin d’une protection contre les faillites, les actions de l’Etat et les événements de force majeure pouvant empêcher la livraison et le paiement de biens ou de services, il peut opter pour une couverture des risques politiques. De nombreux assureurs offrent cette protection pour une prime supplémentaire, mais une fois encore le risque de répudiation d’un contrat de vente ou d’un contrat de prestation de services n’est généralement pas assuré.

 

Responsabilité maximale

 

En règle générale, les polices d’assurance-crédit plafonnent l’indemnité maximale par rapport à la période assurée et la prime d’assurance. Qu’est-ce que cela signifie en pratique? Une fois l’assuré indemnisé à ce montant maximal, il perd la protection contre les mauvaises dettes jusqu’au début de la prochaine période assurable. Il faut tenir compte du fait que l’assureur a toujours le droit de ne pas renouveler le contrat d’assurance.

 

Afin de ne pas négliger cet aspect des polices d’assurance-crédit, nous recommandons les mesures suivantes:

 

  • Assurer que le montant de la prime minimale reste en ligne avec l’exposition de crédit envisagée;
  • Maximiser le ratio de l’indemnisation annuelle par rapport à la prime d’assurance ;
  • Négocier la possibilité d’augmenter le montant de l’indemnisation annuelle au cours de la période assurable (et pas seulement avant celle-ci), en gardant à l’esprit que cette option peut entraîner une prime d’assurance supplémentaire.

 

Le ratio de l’indemnisation annuelle par rapport à la prime d’assurance à payer peut varier considérablement. Pour négocier des conditions optimales, chaque assuré devrait d’abord faire des recherches de marché approfondies.

 

La couverture « top up »

 

Dans le climat économique actuel, de nombreux fournisseurs ne peuvent pas obtenir des limites suffisantes pour assurer leurs créances. Le refus de la couverture requise peut être justifiée à la fois pour des raisons objectives (par exemple, la cote de crédit du débiteur) et subjectives (la capacité financière de l’assureur, les limites antérieures établies pour le même débiteur).

 

Si l’assureur ne peut pas fournir une couverture d’assurance suffisante, les parties peuvent demander une couverture supplémentaire sur le marché secondaire. Compléter la couverture permet à l’assureur de soutenir l’activité de son client tout en partageant les risques avec les autres assureurs. Cela peut être implicite, quand une partie du risque est réassuré mais que l’assureur maintient un seul contrat avec l’assuré, ou explicite, lorsque l’assuré a plusieurs polices d’assurance sur la base d’un accord tripartite ou multilatéral. Une police unique est plus facile à gérer, tandis que plusieurs polices permettent à l’assuré de diversifier le risque de performance de la contrepartie des assureurs.

 

Surveiller le chien de garde

 

L’assuré ne doit pas oublier que les assureurs sont eux-mêmes une source de risque de performance de contrepartie. Heureusement, aucun assureur majeur ne suivit le sort de Lehman Brothers et MF Global, mais certains se seraient certainement effondrés pendant la crise financière sans intervention de l’État. La réputation des agences de notation de crédit et la confiance dans leurs recommandations a également été écornée. Dans ce nouveau monde, les acheteurs d’assurance-crédit doivent faire preuve de diligence raisonnable par rapport aux débiteurs comme aux assureurs.

 

La réassurance permet aux assureurs de répartir les risques, mais ne fournit pas plus de sécurité à l’assuré. Des dispositions « cut-through » dans les contrats de réassurance peuvent offrir une protection supplémentaire à l’assuré, mais les effets juridiques de ces dispositions peuvent varier d’une juridiction à l’autre.

 

Construire un portefeuille

 

L’assurance-crédit implique la répartition des risques dans un portefeuille de débiteurs, mais que faire si un tel portefeuille n’existe pas? Tout fournisseur qui offre le crédit commercial pour la première fois est confronté à ce dilemme.

 

La réponse réside dans une technique d’accumulation des risques individuels. A l’origine, les polices de risque individuel ont été élaborées pour les livraisons de biens d’équipement et des projets d’infrastructure, mais elles se sont propagées plus tard vers d’autres biens et services. En assurant les débiteurs et les contrats individuels, elles facilitent l’accès au marché d’assurance-crédit pour les nouveaux fournisseurs. Le regroupement de plusieurs polices de risque individuel permet de former un portefeuille de débiteurs et, le cas échéant, mettre en œuvre un contrat d’assurance-crédit fondé sur le chiffre d’affaires. Cette approche offre aux aspirants fournisseurs — par exemple, les exportateurs des marchés émergents — une bonne opportunité d’entrer sur les nouveaux marchés ou de monter dans la chaîne de valeur globale.

 

Les autres limitations

 

Les autres limitations d’assurance-crédit comprennent les éléments suivants:

 

  • Exclusion du risque lié aux actions de l’Etat (sinon l’assurance du risque politique devrait être appliquée) ;
  • Exclusion du risque intragroupe ;
  • Exclusion des risques indirects, tels que les intérêts, pénalités, etc. ;
  • Exclusion des risques liés à l’individu privé.

 

Pour résumer, il est inutile d’acheter une couverture d’assurance-crédit, sauf si l’assuré est en mesure de se conformer pleinement aux termes et conditions contractuelles. Les fournisseurs qui n’ont pas les ressources pour garantir cette conformité devraient externaliser la gestion opérationnelle à un courtier spécialisé ou envisager l’affacturage et d’autres outils de gestion des risques, le cas échéant.

 

Quoi d’autre ?

 

Les processus décrits dans cet article doivent favoriser l’émergence d’une industrie de l’assurance-crédit moins égocentrique, plus axée sur le client. Beaucoup dépendra des challengers aux assureurs existants — leur engagement à long terme, leurs compétences professionnelles, leur capacité financière et leur volonté d’innover. Les trois principaux assureurs devront adapter leurs modèles d’affaires aux réalités du marché ou céder des parts de marché à ces nouvelles entreprises ambitieuses.

 

Pour le meilleur ou pour le pire, nous allons connaître des développements importants dans le marché de l’assurance-crédit dans les années à venir.

 
Printed version:

Agefi_2014-12-12

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